Partie 1 : Groupe Inventer la Métropole de Demain, Nicole Sibeud:
Monsieur le Président, Chers collègues,
Avant d’engager mon propos, je tiens à remercier votre cabinet et les services pour leur flexibilité, qui nous permet aujourd’hui une intervention commune à trois voix. L’intervention se déroulera donc en trois temps : je commencerai, puis interviendront julien Ranc de Synergies élus et citoyens et enfin Gilles gascon pour le groupe La Métropositive.
Monsieur le Président, nous sommes appelés aujourd’hui à émettre un avis sur le nouveau plan de mobilité 2040, dont l’arrêt a été approuvé par le Conseil d’administration du SYTRAL le 21 novembre dernier.
Ce plan ambitionne de succéder au plan de déplacements urbains (PDU) de 2017, en définissant les grandes orientations et planifiant les actions en matière de mobilité pour les années à venir.
Lors de sa présentation du plan le 6 mai dernier, nous avions interrogé Monsieur le Vice-Président Jean-Charles Kohlhaas sur l’absence de bilan intermédiaire pour le PDU 2017.
Ces plans, censés porter des orientations stratégiques à long terme, nécessitent pourtant un suivi rigoureux et des bilans réguliers tout au long de leur mise en œuvre.
C’est non seulement une exigence de bonne gouvernance, mais aussi une condition indispensable pour aborder l’élaboration d’un nouveau plan avec une vision claire et des bases solides.
Je ne dis pas ça par simple esprit de contradiction. Vous-même reconnaissez dans la délibération que la réalité des mobilités a profondément évolué depuis l’adoption du PDU en 2017. Dès lors, vous admettez que le PDM ne peut partir de la même situation initiale.
Certes, mais alors pourquoi, dans ce cas-là, partir de la dernière étude exhaustive menée par le CEREMA datant, tenez-vous bien, de 2015 ! Tout cela n’a aucun sens !
En toute tranquillité, vous nous annoncez dans le préambule que l’élaboration du nouveau plan de mobilités ne s’est donc pas faite à partir de données actualisées concernant les parts modales, sur le comportement des usagers et les évolutions sur les 10 années écoulées.
Et non, ce ne sont pas les quelques compteurs vélos installés ici ou là qui suffisent à prétendre offrir une photo précise de l’évolution des mobilités.
Soyons clairs. Ce nouveau plan de mobilité ressemble davantage à un document d’intentions. Il manque d’une réelle planification et de déclinaisons opérationnelles cohérentes avec les enjeux du territoire. Prenons un exemple : Vous affichez la volonté de réduire les temps de parcours des usagers en cohérence avec l’organisation et l’aménagement territoriale.
Dans vos prises de parole, il y a également une constante qui sert à justifier toutes vos actions sur les mobilités et sur la ZFE : Vous partez du postulat que 60 % des trajets-voitures dans la métropole font moins de 3 km.
À partir de là, votre ambition serait de convertir la moitié de ses déplacements vers d’autres modes de transports.
Mais votre constat est erroné et trompeur ! Ces chiffres sont issus de l’enquête Déplacements du Sytral datant de…. 2015. Or, si cette étude démontre bien que plus de la moitié des trajets font moins de 3 km, la note de lecture méthodologique précise bien « qu’un trajet correspond à une étape au sein d’un déplacement ». Vous confondez donc les notions de trajet et de déplacements !
Pour réduire les temps de trajet, il faut en priorité lutter contre l’étalement urbain, renforcer les zones multifonctionnelles, densifier autour des pôles, et y implanter des lignes de transport collectif structurantes.
Or, que s’est-il passé ces quatre dernières années sur notre territoire ?
Des ménages continuent de fuir les centres-villes pour s’installer dans la première, voire la deuxième couronne périurbaine, faute d’une offre de logements accessibles et abordables.
Vous persistez à rétrozoner des mètres carrés entiers initialement destinés à l’activité économique, tertiaire ou résidentielle.
Tout cela, sans une réelle modélisation des objectifs de reports modaux vers d’autres modes de transport risque de nous conduire à l’embolie !
D’ailleurs, sur quels critères sont basés les choix des solutions techniques retenues pour les transports en commun ? Pour les mêmes projections de trafic, il y a d’un côté de l’agglomération, le tramway T10 et de l’autre, un BHNS sur la ligne Centre-est. Y a-t-il des citoyens de seconde zone ? Il y a en tout cas une forme d’iniquité territoriale.
Non, nous ne croyons pas en votre plan de mobilité, et pour cause, vous avez derrière vous quatre années de politique dans ce domaine et elles ont été le théâtre de renoncements coupables et d’aménagements violents pour nos habitants :
Renoncement du plan métro (je laisserai mes collègues en parler mieux que moi).
Tergiversations au sujet des parcs-relais, où dans un premier temps vous avez renoncé à cet outil pour finalement vous rendre compte en cours de mandat qu’ils étaient indispensables pour un report modal efficient aux entrées de ville. Vous restez néanmoins très frileux sur la question.
Vous avez au moins le mérite d’être très explicite sur un point : Vous assumez vouloir réduire la part des déplacements motorisés, en particulier celle de la voiture, et sur cet objectif, nous sommes d’accord. Mais nos moyens pour y parvenir diffèrent clairement. Votre stratégie repose sur la culpabilisation des usagers de la voiture, en opposant non seulement les modes de transports et avec, des usagers entre eux. Vous vous arrogez le droit de distribuer les brevets des vertueux et des pollueurs.
À vous écouter, il semble d’ailleurs que le meilleur déplacement reste celui que l’on ne fait pas.
En réalité, vous travaillez sur la démobilité. Et la démobilité, c’est ce que connaissent déjà un nombre croissant de nos concitoyens contraints à l’assignation à résidence provoquée par la ZFE.
Voilà, je ne serais pas plus longue, je laisse mes collègues de Synergies et de la Métropositive poursuivre notre propos.
Nous voterons par ailleurs contre cet avis.
Votre stratégie repose à toujours plus marginaliser et faire culpabiliser les usagers de la voiture.
2ème partie : Synergies, par Julien Ranc.
Monsieur le Président, Mes chers collègues,
Le Plan de Mobilité des territoires lyonnais que nous examinons aujourd’hui, élaboré sous l’égide de SYTRAL, doit orienter nos mobilités et celles de nos concitoyens jusqu’en 2040.
Si les objectifs portés par ce document sont louables et que l’ensemble de notre assemblée ne peut que les partager, il soulève toutefois plusieurs réserves de notre groupe Synergies.
D’abord concernant la prise en compte des avis des 58 communes membres de la Métropole, auquel ce plan devrait normalement être soumis. Toutes n’ont pas encore eu l’opportunité de s’exprimer et le calendrier imposé, avec un vote dès janvier 2025, ne permet manifestement pas de tenir compte de leurs contributions. Elles sont pourtant essentielles pour rendre ce PDM pleinement opérationnel et connecté aux réalités des territoires. Comment comptez-vous dès lors prendre en compte ces retours locaux ?
De la même façon, si nous partageons pleinement les objectifs de décarbonation affichés par ce plan, réduire les émissions de gaz à effet de serre, promouvoir des mobilités alternatives et développer les infrastructures de transports collectifs ne ce décrète pas. Si ces ambitions sont non seulement nobles mais aussi urgentes, nous regrettons que ce document fasse plusieurs fois l’impasse sur la façon dont il sera rendu opérationnel et concret pour les habitants.
Par exemple, vous ambitionnez de réduire de moitié l’usage de la voiture solo, appelé aussi autosolisme, d’ici 15 ans soit en 2040. Une démarche louable à laquelle je ne peux d’ailleurs personnellement qu’adhérer, ayant opéré ce changement il y a bientôt 5 ans. Or, aujourd’hui, trois quarts des déplacements sur le territoire national et local font moins de 5 kilomètres, et une grande majorité d’entre eux sont réalisés en voiture individuelle, souvent par une seule personne.
Pourquoi ? Parce que vous savez comme nous que pour changer ce mode de déplacement polluant, il ne suffit pas de proposer des transports en commun, il faut que ces derniers soient supérieurs dans tous les domaines, plus compétitifs que l’usage du véhicule individuel, que ce soit au niveau de son coût, de sa fréquence, du temps gagné, de la qualité de service et de son maillage comprenant le moins de ruptures de charge possible. En somme, plus le parcours client est simple, plus les transports en commun sont pris. Or, nous n’en sommes pas encore là. Nous le sommes encore moins dans les zones rurales et périurbaines de l’agglomération, où les alternatives que constituent les transports en commun sont encore trop faibles dans ces différents domaines pour provoquer un changement d’habitudes, où les pistes cyclables sont insuffisantes voire inadaptées en raison de la trop grande distance et des usages, où l’intermodalité avec le rail existant par exemple reste presque un impensé.
Ces projections ignorent donc plusieurs contraintes locales et nous prenons le risque, avec ce PDM, de creuser les inégalités en la matière.
Nous regrettons également l’absence d’une évaluation rigoureuse des évolutions réelles des pratiques de mobilité depuis 2015. Cette absence de base scientifique rend votre plan bien fragile puisque vos projections s’appuient dessus et font de vos hypothèses des pistes dont on peut louer l’optimisme, mais douter du réalisme.
La transition vers des véhicules électriques nécessite ainsi des investissements massifs, mais aussi un renouvellement rapide du parc automobile, dont le coût est prohibitif pour de nombreux ménages. En ces temps d’incertitudes, négliger les contraintes financières et sociales de nos concitoyens, c’est nier un contexte qui rend l’adoption rapide de telles mesures et de nouveaux comportements bien plus difficile qu’à l’habitude. Une approche plus graduelle et réaliste aurait été préférable pour garantir des résultats concrets et pérennes.
Nous sommes convaincus que les mobilités de demain doivent être inclusives, efficaces et adaptées aux réalités de tous les habitants du territoire, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux. Cependant, ce Plan de Mobilité tel qu’il est présenté ne répond pas à ces attentes.
Pour toutes ces raisons, notre groupe Synergies votera contre ce Plan de Mobilité.
Je laisse maintenant la parole au groupe La Métropositive.
3ème partie : La MétroPositive, par Gilles Gascon.
Monsieur le Président, chers collègues,
Émettre un avis sur les enjeux de mobilités à dix ou vingt ans reste un moment solennel.
La mobilité est en effet une question centrale pour nombre de nos concitoyens. Elle façonne leurs habitudes, leurs déplacements et la qualité de leur vie.
Parce que c’est un sujet essentiel pour notre bien-être collectif, il nous incombait de trouver ensemble des solutions équilibrées pour répondre aux besoins de déplacement des habitants tout en protégeant notre environnement.
Comme le disait Saint-Exupéry « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ».
Ensemble, nous aurions pu rendre possible un avenir où la mobilité serait au service de tous. Hélas, il n’en fut rien.
Jusqu’en 2022, le SYTRAL a été géré dans la recherche du consensus, avec la participation de toutes les sensibilités politiques composant notre assemblée.
Lors de sa transformation en établissement public local, vous avez choisi de déroger au principe de proportionnalité. Cela a considérablement amoindri le pluralisme démocratique, excluant de facto les voix de l’opposition de la gouvernance et, avec elles, une partie de la diversité des propositions pour la planification de nos transports publics.
Vous poussez même la désinvolture en reconnaissant, dans cette délibération, que les communes n’ont pas été associées ou consultées dans l’élaboration du plan.
Un « petit point » pour reprendre les propos du vice-président KOHLHAAS a été réalisée en Conférence métropolitaine des maires en septembre dernier.
L’article 66 de notre règlement intérieur stipule pourtant que « la CMM est amenée à rendre un avis, préalablement à celui rendu par le Conseil de la Métropole sur le projet de Plan de Déplacement Urbain ». Ce même article précise que « les avis de la CMM sont formalisés, transmis aux conseillers métropolitains et joints au projet de délibération correspondant ».
On observe que la gouvernance de l’exécutif n’évolue guère depuis cinq ans : elle demeure extrêmement verticale et très brutale.
A l’amoindrissement du pluralisme démocratique, voilà que vous ajoutez maintenant le non-respect de notre règlement.
Il aurait été essentiel ensuite, de reconnaître que la voiture reste un moyen de transport indispensable pour une grande partie de notre population : 40 % des habitants et des emplois ne sont en effet desservis par aucun réseau structurant de transports collectifs aujourd’hui.
Mais pour vous, la voiture reste l’ennemi juré. Avec 363 fois le mot voiture dans le plan de mobilité, ça frise même la névrose obsessionnelle :
« Remplacement de la voiture » par-ci, « diminuer la dépendance à la voiture » par-là… A vous lire, les automobilistes n’auraient pas besoin de leurs voitures, ils seraient tout simplement addicts ! Il faudrait donc les rééduquer !
La forme c’est le fond de votre politique anti-voiture qui remonte à la surface !
En 2022, vous décidiez d’abandonner tout projet de développement de nouvelles lignes de métro, pour certaines actées comme le Métro E. Serait-ce parce que cela n’embêtait pas suffisamment les automobilistes ?
Au regard des enjeux démographiques, économiques et environnementaux du territoire lyonnais, nous n’avons eu de cesse de vous demander de reposer le principe d’un grand plan métro.
Le paradoxe est bien là :
D’un côté, vous vous arc-boutez sur l’amplification de la ZFE et la sortie des Crit’Air 2 en 2028. De l’autre, vous proposez un développement du réseau structurant de transports en commun à horizons 2030 et 2040, qui a certes le mérite d’exister, mais sans grande ambition finalement au regard des enjeux qui se trouvent devant nous.
Ainsi vous maintenez un calendrier ZFE toujours aussi inversement proportionné à l’offre de mobilité actuelle. D’abord la contrainte, ensuite l’offre. C’est un choix inconsidéré !
Attention, en restant dans cette posture idéologique, je vous le dis la colère sera grande. Nous en mesurons les prémices dans nos territoires : les gens sont anxieux, ils ont légitimement peur d’être assignés à résidence.
Vous réduisez à portion congrue l’étude de nouvelles infrastructures routières inscrite dans le PDU 2017-2030. La finalisation du BUE est emblématique. Vous la renvoyez à d’énièmes études après 2030. Autant dire que c’est un enterrement de première classe. C’est bien dommage car le BUE serait un bel exemple de dorsale structurante conciliant tous les modes de transports entre les communes de l’est lyonnais.
En l’absence de toute référence en faveur d’un grand contournement autoroutier, il est illusoire d’imaginer des voies réservées aux transports collectifs sur la Rocade Est et l’A46 Sud, véritable barreau autoroutier européen.
Si nous sommes tous défavorables à son élargissement, nous défendons, pour notre part, la perspective d’un grand contournement afin de redonner à la Rocade des Villages sa fonction originelle. C’est à cette seule condition que nous pourrons y développer du transport collectif en rocade en toute sécurité.
Nous notons enfin l’absence d’équité territoriale concernant les objectifs de parts modales au sein du bassin de mobilité de l’agglomération lyonnaise.
Les caractéristiques propres aux villes de seconde couronne ou aux villes périurbaines sont invisibilisées par celles de la Métropole : les objectifs de report modal se retrouvent en effet les mêmes que ceux envisagés pour le cœur de l’agglomération.
Je ne saurais terminer sans un mot sur la sécurité dans les TCL. Une mobilisation plus grande de l’intégralité des acteurs du continuum de sécurité, qui comprend notamment les services de transports, s’impose.
Réduire massivement l’insécurité dans les transports offrirait aux Grandlyonnais une alternative sûre à la voiture.
Il serait grand temps de créer une police métropolitaine des transports avec le concours des communes.
Monsieur le Président, encore une fois, vous faites preuve d’une vision biaisée et partiale de la mobilité en négligeant les réalités et les besoins des habitants.
Nous voterons contre cet avis.
Interventions de Nicole Sibeud, julien Ranc et Gilles Gascon en Conseil de la Métropole du 27 janvier 2025. Délibération n°2025-2663.