« Gérard COLLOMB avait une vision pour Lyon et son agglomération : donner à voir au monde un condensé de l’art de vivre à la française. Il souhaitait faire rayonner Lyon à travers le globe comme une métropole de rang international.«
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs les élus,
Nous avons eu ce privilège immense, qu’un jour, Gérard Collomb s’éprît d’une ville, eût lié son propre destin à celui d’une cité, la nôtre. Les deux en furent transfigurés. Lui y acquit l’envergure de l’homme d’Etat, elle y trouva le plein accomplissement d’une grande métropole et nous, la fierté d’avoir contribué à cette double transfiguration, « d’en avoir été » comme on disait jadis d’une grande bataille.
Samedi 25 novembre, notre agglomération et notre ville ont perdu leur serviteur le plus dévoué. Gérard Collomb, fort de convictions à toute épreuve, et d’un attachement peu commun au travail bien fait, au travail fini, a élargi à l’infini l’horizon de nos perspectives collectives.
L’homme de lettres s’est fait politique visionnaire ; l’aspirant poète s’est fait administrateur pragmatique ; et le pédagogue édile défenseur de l’intérêt général.
Il nous apprit à poser un regard nouveau, plus pénétrant sur le monde complexe, agité et menaçant où nous avons à vivre. Il inspira, à tous ceux qui l’ont côtoyé, un goût plus affirmé pour l’engagement et plus généralement pour la vie même. Il aura plus que mérité la loyauté qui fut la nôtre, durant et après ses mandats, celui dont nous resterons à jamais les obligés, nous, les membres du groupe « Pour Lyon », ses fidèles.
Hermétique aux dogmes, aux idéologies extrêmes et aux postures politiciennes, en bon pédagogue, il ne ratait aucune occasion de raviver en chacun d’entre nous la fibre démocratique. Il était d’origines modestes.
Il me le répétait souvent pour me convaincre, qu’en démocratie, tout était possible et devait le rester. Il incarne à merveille la figure de l’enfant de la République, qui peut se construire par le mérite et le travail. Fils d’une femme de ménage et d’un ouvrier métallurgiste, il était fier de son agrégation de lettres classiques, après une khâgne au Lycée du Parc.
Son amour pour les lettres, il le transmettra d’abord en les enseignant puis en les incarnant par son action publique.
Marque de la grande ouverture d’esprit de ce socialiste issu du peuple, de sa largesse de vue, son affection particulière pour l’œuvre de Marcel Proust qu’il a relue pendant sa maladie et pour celle de Saint-Simon, d’où il tira le nerf de son action : seule la création de richesse autorise une véritable redistribution au service de politiques sociales ambitieuses.
On sait combien cette idiosyncrasie économico-sociale dont il ne dévia jamais l’exposa à la critique tendancieuse de ses opposants. Il lui fallut d’abord convaincre et réaliser l’impossible, enfin …, ce que d’aucuns jugeaient comme tel : gagner les élections municipales de 2001. On oubliait qu’au préalable, pendant plus de vingt ans, il avait appliqué, avec la détermination dont il était capable, sur le terrain puis son arrondissement de cœur de Lyon 9e, pour expérimenter sa future politique municipale.
Gérard COLLOMB avait une vision pour Lyon et son agglomération : donner à voir au monde un condensé de l’art de vivre à la française.
Il souhaitait faire rayonner Lyon à travers le globe comme une métropole de rang international, une référence économique, patrimoniale, gastronomique et culturelle.
Dans ce dernier domaine, ses réalisations sont des succès incontestables, à l’instar des Nuits Sonores, du Festival Lumière ou de la Fête des Lumières, telle que nous l’avons encore connue cette année. Pionnier de la transition écologique, notre territoire lui doit les Vélo’v, des centaines de kilomètres de pistes cyclables, mais aussi les grands parcs – Vallon, Chambovet, Blandan, Mandela – et ce premier retour de la nature au coeur de la ville. Idem pour la Confluence, qui fut pensée comme le premier éco-quartier de France. Cette dynamique des grands projets, aperçue chez certains de ses prédécesseurs, il l’entretint sans relâche et la porta à son paroxysme : les Berges du Rhône et les Rives de Saône, Gerland, La Duchère, Vaise, la Part-Dieu, Mermoz, ou encore le Carré de soie, notamment, ont connu des métamorphoses remarquables … Et remarquées n’en déplaise aux tenants de la critique systématique.
Car si la critique est facile, la réalisation menée à son terme d’une politique visionnaire, parvenant à impacter si définitivement, et si heureusement, le quotidien des gens, demeure l’apanage des seuls grands.
« Le progrès » était son mantra. Il répétait inlassablement que l’innovation serait la clé des problématiques du XXIè siècle et avait foi en l’Homme, en sa capacité à se dépasser, à enjamber toute fatalité, liberté en acte produisant ainsi son propre destin. C’est ainsi que Gérard, homme de gauche par vocation, avait réussi l’incroyable tour de force de fédérer et associer tout le secteur économique aux projets de sa politique publique.
C’est dans cet esprit qu’il entreprit, en 2015, la fondation de cette nouvelle collectivité qu’est la Métropole de Lyon. Collectivité unique en France par ses compétences et sa capacité à porter des projets d’intérêt global, propres à réconcilier « l’humain et l’urbain », comme il aimait à le dire.
C’est toujours dans cet esprit qu’il agit au niveau national comme député, comme sénateur, comme premier soutien du candidat Macron à la Présidence de la République, puis enfin comme Ministre de l’Intérieur. Avant de revenir à son premier et sûrement seul grand amour : Lyon.
Le progrès ne pouvait s’entendre selon lui sans la sécurité qu’il voyait comme la première des libertés, celle inviolable et sacrée des plus démunis.
Il était très sévère envers ceux qui éludent leur responsabilité en la matière. Ceux qui glissent le sujet sous le tapis de peur de paraître faire « le jeu des extrêmes ».
De gauche, de droite ou tout simplement de la société civile, il préférait les femmes et les hommes de courage capables d’empoigner les sujets sensibles, certes à risques, mais qui signent l’action politique véritable.
Son passage trop bref Place Beauvau ne fit qu’aiguiser encore son appréciation critique d’une situation dont la dégradation quotidienne confirme, ô combien !, son diagnostic qui n’incitait guère à l’optimisme.
En fin politique, il maîtrisait l’art si difficile, si délicat, de fédérer les intelligences, les volontés et les sensibilités même les plus diverses, même les plus opposées.
On se souvient qu’en 2002, au lendemain d’un incendie criminel contre la synagogue de la Duchère, il créa le Groupe Concorde et Solidarité avec les responsables des religions présentes à Lyon, dans le but de travailler ensemble, et avec l’autorité municipale, pour résoudre les problèmes et les tensions lorsqu’ils surgissent.
Avec Gérard Collomb, Lyon a poursuivi une tradition de saine laïcité, dans un esprit de dialogue, de souci commun de vivre ensemble et en paix, dans le respect de l’identité de chacun.
Homme de culture, il savait combien la connaissance est essentielle pour surmonter les préjugés, pour permettre un véritable dialogue entre les religions. Il martelait sans cesse que c’est l’ignorance qui nourrit le racisme, l’exclusion, l’antisémitisme, l’islamophobie et toutes les xénophobies.
Il y avait chez cet homme de bien une sorte de noblesse sans hauteur qui incitait à l’humilité et au courage face aux incriminations injustes et aux jalousies malsaines. Certains, lui ayant naguère manqué, se réclament aujourd’hui de son héritage. Mais personne ne sera dupe. Nous inspirant de lui, nous continuerons son œuvre.
Depuis le 25 novembre, c’est une partie de nous-mêmes qui s’en est allée et notre chagrin est immense. Notre groupe perd un leader comme la vie en accorde peu. Le son de sa voix, si singulière, hantera nos débats, comme un secret encouragement ou un muet reproche. Les Lyonnais et Grands lyonnais perdent un serviteur dévoué. Mais nos pensées se tournent d’abord vers sa femme et ses enfants dont la peine est encore plus grande.
« Je ne savais pas à quel point je vous aimais » écrivait à sa femme, depuis le front, le jeune lieutenant Péguy.
Je ne savais pas à quel point vous m’étiez cher, Monsieur le Ministre, combien je t’étais attaché mon grand ami !
Est-ce l’affliction qui me permet aujourd’hui enfin ce tutoiement, cette familiarité que tu voulais instaurer entre nous et à laquelle, comme transi de respect, je n’ai jamais pu me résoudre lorsque fragile, fatigué, déjà vaincu mais luttant encore, luttant toujours, tu m’invitais à cheminer sur les bords de Saône au cœur de notre cité, ton amie de toujours.
Tu étais l’homme des grandes amitiés, celles dont on mesure la grandeur à la grandeur de la cause qui les a fait naître. Notre commune cause fut cette merveilleuse ville de Lyon. Peut-on rêver d’une plus grande cause ?
L’amitié ? Ce qui, d’une rencontre, défie la mort et résiste à l’oubli. Lyon, notre groupe et moi, nous ne t’oublierons pas !
Je n’avais ni ton intelligence ni ta culture mais certainement la volonté du gymnaste. Tu voulus bien la reconnaître, ne pas la prendre de haut. Toi le lettré, le poète mais aussi la personnalité aux mille expériences, aux mille vies, tu décelas ou peut-être tu généras, chez ce quasi saltimbanque des plateaux de gym, des compétences ignorées de moi jusqu’alors. Et tu décidas, un certain soir de l’an de grâce 2013, à Gerland, de me compter désormais au nombre de tes adjoints.
Cette plongée du fait du prince, si improbable, si soudaine, dans la profondeur lustrale de ton affection et de ton exigence paternelle, je l’ai vécue comme une nouvelle naissance, comme un autre baptême à l’eau de ce puits de culture et de générosité, dont le ciel de ma jeune vie jamais ne verra le fond.
Au nom de notre groupe et de tous ceux qui ont été à tes côtés, merci Monsieur le Ministre, merci Monsieur le Maire, merci cher Gérard, mon mentor, mon ami… Ad aeternam.
Intervention de Yann CUCHERAT au conseil municipal du 21 décembre 2023