Monsieur le Maire,
Madame l’Adjointe
Mesdames et messieurs,
Chers collègues,
1 million 300 000 personnes – hommes, femmes, enfants – ont été déportées à Auschwitz- Birkenau, 1 million 100 000 y sont mortes dont 900 000 dans les chambres à gaz.
Parmi elles figurent la plupart des 86 victimes de la rafle de la rue Sainte Catherine, au cœur de notre ville.
Parmi elles figurent la majorité des 75 enfants placés à l’Antiquaille, entre février et août 1944, et un grand nombre des 600 détenus de Montluc qui, le 11 août 1944, avaient pris le dernier convoi parti de Lyon.
Parmi eux figurent les enfants d’une colonie dans l’Ain qui déjeunaient bruyamment en ce 6 Avril 1944, jour de vacances et qui n’ont rien entendu lors de l’arrivée des camions allemands.
Deux mois exactement avant le débarquement en Normandie, les 44 enfants d’Izieu et 7 de leurs accompagnateurs sont arrêtés avec brutalité. Ils partent en chantant « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » et arrivent au réfectoire de la prison Montluc avant de partir pour Drancy et pour les chambres à gaz, certains dans le même convoi que la jeune Simone Veil.
Le seul crime de ces enfants, pour certains d’entre-eux et de leurs éducateurs, était d’être juifs.
On doit souligner que ces enfants étaient des réfugiés, qu’ils venaient de toute l’Europe, que cette terre de l’Ain et de France les a accueillis grâce à des associations, dont l’oeuvre de Secours aux Enfants (OSE). Cette liste de noms d’enfants que l’on n’a pas pu sauver résonne dans notre actualité.
Ce mémorial est né de la volonté de personnes comme Gérard Collomb, Georges Képénékian, Jean-Dominique Durand, Jean Lévy, Jean-Olivier Viout, et Maître André Soulier mais aussi l’engagement pour la mémoire de la Shoa, l’engagement d’une vie autour de Beate et Serge Klarsfeld, Régis Debray, Sabine Zlatin et beaucoup d’autres,
Aujourd’hui, je tiens à avoir une pensée pour Benjamin Orenstein, véritable passeur de mémoire, qui est également à l’origine du projet.
Accepter de nommer les choses, c’est accepter de dire explicitement pour lutter contre l’antisémitisme, notamment dans notre programme éducatif de territoire.
Accepter de nommer les choses, c’est aussi éviter les amalgames.
Aujourd’hui, c’est par l’éducation et la culture que vous lutterez contre le poids des préjugés. A ce sujet, la dernière étude sur la photographie de l’antisémitisme en France donne des préconisations pour des actions très concrètes dans notre ville.
Ce mémorial ne peut pas être un lieu figé dans le temps. Notre rôle à Lyon, notamment à travers nos politiques culturelles et éducatives, est de témoigner mais aussi de parler, d’expliquer et de dire que si l’antisémitisme sait changer de visage, tout à tour religieux et politique, notre époque retrouve toujours la même haine qui blesse et qui tue.
Comme en région parisienne avec Ilan Halimi en 2006, à Toulouse, au sein de l’école Ozar Hatorah, à Paris, à l’hyper cacher de la Porte de Vincennes. Toujours à Paris, Sarah Halimi le 4 avril 2017 et Mireille Knoll, 85 ans, rescapée de la Shoah, assassinée à son domicile le 23 mars 2018.
Il faut aussi évoquer toutes ces agressions, toutes ces paroles de haine qui sur Internet, sur les réseaux sociaux et jusque dans nos rues, prolifèrent et continuent de banaliser l’antisémitisme. Nommer les choses et combattre le mal, quel que soit son mode d’expression, est un devoir absolu.
Jamais depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les actes antisémites n’avaient été aussi nombreux, ni aussi meurtriers.
Comment ne pas voir la défaite que cela représente pour notre Nation, pour cette République française qui, dans l’Europe des Lumières, avait allumé la flamme des droits de l’homme et établi en principe universel le respect inconditionnel de la personne ? Comment ne pas voir qu’il nous faudrait agir plus fermement, mieux sanctionner ces crimes et combattre avec davantage de force l’impunité ?
Alors oui il nous faut réaffirmer que l’antisémitisme est un crime qui entache notre démocratie.
Ce mémorial, avec notamment Montluc, la maison d’Izieu, le CHRD, sont des lieux pour entretenir une mémoire, pour comprendre les mécanismes de l’exclusion, pour expliquer jusqu’ou mène la violence quand elle se heurte à l’indifférence.
Loin d’être un lieu figé, il doit jouer avec les associations un rôle fondamental dans l’éducation, peut, et pourra dans le futur, aider les citoyens et citoyennes, et surtout les jeunes en formation, à dénoncer les falsifications et les mensonges de ceux qui exploitent l’ignorance, la peur et la haine des autres.
Un lieu de mémoire pour commémorer, se souvenir mais aussi essayer de comprendre car aujourd’hui, on continue d’interroger : comment des hommes purent-ils mettre une telle rationalité au service d’une telle barbarie ?
Oui il faut savoir que cela fut, même si jamais nous ne comprendrons comment l’Europe avait pu en arriver là.
Comment l’Allemagne qui, par sa culture, ses arts, sa philosophie, était au sommet de la civilisation européenne, avait pu porter à sa tête un homme dont chacun connaissait l’idéologie raciste et antisémite ?
Ce mémorial, c’est rappeler les ressorts de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler dans un pays en proie, après la crise de 1929, à une profonde misère économique et sociale. Rappeler qu’il avait profité du contexte de crise pour faire prospérer son idéologie de haine, miner peu à peu de l’intérieur la démocratie et instaurer un totalitarisme qui conduirait à l’élimination, dans la Shoah, des deux tiers des Juifs d’Europe : 6 millions de personnes parmi lesquelles un million et demi d’enfants.
Ce mémorial nous rappelle qu’ici à Lyon, des justes ont simplement considéré le persécuté comme une personne, comme un frère, comme une sœur. Certaines ont accompli leur geste comme un acte conscient de résistance, beaucoup l’ont accompli par simple humanité.
Les plus de 155 Justes du Rhône montrent que la Résistance, c’était aussi ouvrir sa porte aux persécutés, dire non, refuser d’obéir.
Refuser des ordres indignes dans un sursaut de conscience, c’est le début du courage et de la bravoure humaine.
Voilà ce que représente ce mémorial.
Je vous remercie.
Intervention de Charles-Franck LEVY au conseil municipal de la Ville de Lyon du 15 décembre 2022.
Rapport n°2022/2185