Intervention de Gérard Collomb
Ce Débat d’Orientation Budgétaire (DOB) revêt une importance particulière parce qu’il est le premier d’un mandat que vous voulez placé sous le signe de la rupture.
Pourtant, permettez-moi de vous dire que sur beaucoup de points, il est pire héritage que celui dont vous bénéficiez.
Vous arrivez, en effet, à la tête d’une institution qui, ces 5 ans l’ont montré, est particulièrement performante.
D’un point de vue économique, avant la crise du Covid, jamais nous n’avions connu une telle dynamique en termes de créations d’entreprises, d’accueil de sociétés étrangères, de flux touristiques… qu’ils soient d’affaires ou d’agrément. Jamais donc la Métropole n’avait généré autant d’emplois.
D’un point de vue social, les opérations de rénovation urbaine engagés devraient nous permettre de rééquilibrer nos communes et nos quartiers.
Sur le plan de la qualité de la vie, la Métropole de Lyon figure toujours dans les premiers rangs des classements.
Et lorsqu’on interroge les Français pour savoir dans quelle ville ils souhaiteraient vivre, notre métropole figure toujours parmi les villes choisies. J’ai même lu dans une de ces interviews que c’était là aussi le point de vue du Maire de Lyon qui, lorsqu’on lui demandait pourquoi il avait choisi de s’installer dans notre ville répondait que c’était parce que Lyon était une ville agréable à vivre.
Lyon pourrait bénéficier de tout cela. Mais pour parvenir à ce résultat, nous aurions pu vider les caisses et notre Métropole pourrait être financièrement exsangue. Tel n’est pas le cas, bien au contraire. Tous les indicateurs financiers sont au vert.
Lorsqu’on regarde l’évolution de l’autofinancement brut depuis la création de la Métropole, il n’a cessé d’augmenter pour passer de 440 millions en 2015 à 550 millions en 2018. Et même s’il a un peu baissé en 2019, années préélectorales où on est tenté de dépenser davantage, il reste extrêmement élevé et témoigne d’une volonté forte de contrôler l’évolution des dépenses de fonctionnement et d’augmenter les recettes, grâce à la politique dynamique que je viens d’évoquer.
Dans le même temps et malgré la reprise des emprunts toxiques du département, jamais la dette n’avait été aussi basse avec une durée de désendettement de 3,3 années au CA 2019. Vous avez d’ailleurs eu la gentillesse de montrer dans le tableau qui illustre le rapport de présentation du DOB que la Métropole est l’une des collectivités les moins endettées en France, je vous en remercie.
Alors certes la Covid a eu un coût en matière d’achat d’équipement sanitaire (masques, gel hydroalcoolique…), de subventions aux établissements sociaux sanitaires ou de soutien aux entreprises. D’où votre estimation pour 2020 d’un autofinancement brut à 250 millions d’euros, sauf dérapage de la section de fonctionnement.
Les résultats pourraient seront peut-être même meilleurs. Vous avez en effet chiffré une baisse des DMTO à 20 %. En fait compte tenu de la résistance du marché immobilier dans notre agglomération, les DMTO pourraient être du même montant que l’année dernière. Or ils sont un élément important de notre financement puisqu’ils se montaient l’année dernière à 367 millions.
Alors fort de cet acquis, vous vous flattez de pouvoir présenter une PPI à 3,6 milliards d’euros, plus que ce que nous avions annoncé en 2014 (3,5 milliards) et plus que ce qui a été réalisé (3,2 milliards), un montant qui n’est pas si loin des objectifs initialement prévus.
À première vue on pourrait dire bravo parce qu’une collectivité locale a besoin d’investissements et évidemment encore davantage dans la période que nous connaissons. Sauf que pour réaliser ce chiffre, et vous l’honnêteté de l’annoncer, vous avez l’intention de faire exploser la dette en la faisant passer en fin de mandat aux alentours de 8 à 10 ans.
Je vois bien quel est votre raisonnement, vous vous dites : « il faut s’endetter au maximum pendant que l’argent n’est pas cher, avec des taux d’intérêt qui peuvent même aujourd’hui être négatifs. »
Pour les deux années qui viennent sans doute. Mais prenez garde !
D’abord les effets du Covid ne sont pas derrière nous. Sur le plan sanitaire, on peut connaître une troisième vague. Regardez les USA après Thanksgiving, mais surtout c’est l’année prochaine surtout que nous allons supporter le coût économique et social de la crise, avec de fermeture d’entreprise, l’obligation pour les PME et même pour les autres sociétés de licencier, avec des dépenses sociales qui vont donc fortement augmenter.
Et qui nous dit que les taux d’intérêt vont toujours être aussi bas ? Le Président de la République disait, il y a quelque temps, qu’il voulait soutenir l’économie « quoi qu’il en coûte ». Et aujourd’hui, il vient de créer une commission chargée de faire des propositions pour réduire la dette que le pays aura accumulée.
Alors si nous sommes d’accord pour que la Métropole s’endette aujourd’hui de manière à soutenir l’économie locale, il faut que le recours à l’emprunt soit limité dans le temps, qu’il serve à des investissements productifs permettant de générer des recettes futures.
S’il devait servir à financer un dérapage des dépenses de fonctionnement, ce serait tout simplement catastrophique. Car, je sais que cela peut être un gros mot pour certains, mais les marchés financiers nous regardent et s’ils constataient un tel mouvement, nos emprunts ne tarderaient pas à être plus chers avec un effet cumulatif sur nos finances.
C’est le premier risque auquel vous vous heurterez, mais dans un deuxième temps vous serez inéluctablement — si je puis m’exprimer ainsi — rattrapé par la patrouille du Ministère des Finances.
Vous indiquez vous-même, en effet, qu’au-delà de 10 ans d’endettement, la préfecture sera dans l’obligation de vous obliger à suivre une trajectoire de désendettement. Celle-ci reste risque d’être drastique, car en général la dette s’accroît de manière hyperbolique. Dans le passé, un certain nombre de villes et d’agglomérations ont connu cette difficulté-là.
Alors je sais, je l’ai expérimenté dans mon premier mandat, chaque vice-président ou chaque adjoint pense que son secteur est prioritaire et que les besoins sont immenses. En général, quand vous additionnez les demandes, il y a de quoi faire quatre plans de mandat en un. L’ingratitude, mais aussi le devoir pour un Président ou un Maire, c’est de trancher et de choisir quelles doivent être les priorités.
Vous aurez à le faire en matière de dépenses, mais il vous faudra aussi faire en sorte que les recettes de cette métropole continuent à augmenter.
Pour cela il faudra que la transition écologique vers une neutralité carbone d’ici 2050, que vous souhaitez, que nous souhaitons tous, se fasse avec et non contre les entreprises.
Planter des arbres peut certes être utile, mais je ne suis pas sûr que cela suffise. C’est une nouvelle révolution industrielle que nous sommes en train de connaître. Partout on en voit aujourd’hui des exemples : voitures, bus, véhicules utilitaires électriques. Nouveaux bâtiments BBC, voire à énergie positive, réhabilitation des bâtiments anciens de plus en plus performants.
Et une autre mutation est déjà en train de se profiler. Aujourd’hui en Allemagne, en Autriche, des trains et des poids lourds roulent à l’hydrogène. Airbus, pour sa part, annonce son premier prototype d’avion à hydrogène pour 2030.
De cette nouvelle grande transformation, pour reprendre les termes de Karl Polanyi, la Métropole de Lyon doit devenir un acteur en conjuguant écologie et économie, car on voit bien, avec la crise de la Covid, à quoi conduit inévitablement la décroissance : 1 million de personnes supplémentaires en situation de pauvreté en France, 180 millions de plus tombés dans la grande pauvreté dans le monde.
Il est donc indispensable de continuer à mener des politiques de croissance dans cette Métropole, mais il s’agit de construire un autre modèle de croissance pour répondre aux défis du changement climatique. Ce devrait être là le grand défi de la Métropole de ces prochaines années.
Ce n’est qu’en poursuivant ces objectifs là que vous pourrez développer les politiques vous souhaitez. Parce que nous aurons continué à produire de la richesse, vous pourrez continuer à avoir une politique ambitieuse du point de vue social (actions envers les plus fragiles, les personnes âgées, les personnes éloignées de l’emploi, les seniors, des actions fortes en matière de santé), mais aussi du point de vue écologique, avec une structuration de la filière circuits courts et bio, avec les investissements massifs nécessaires pour avoir une vraie politique de l’eau, avec des investissement forts pour continuer à promouvoir la biodiversité.
Monsieur le Président, parce que nous avons Lyon au cœur, parce que nous aimons notre métropole et que nous souhaitons pour elle le meilleur, chaque fois que vos actions nous sembleront aller dans ce sens, vous nous trouverez à vos côtés. Là où par contre des décisions seront prises, qui n’auraient d’autres raisons qu’idéologiques, dogmatiques, alors nous expliquerons à nos concitoyens en quoi ils peuvent être contre-productifs, contre-productifs pour notre agglomération, contre-productifs pour ses habitants.
Gérard Collomb
Conseil de la Métropole de Lyon 14 décembre 2020
Rapport n° 2020-271 : finances, institutions, ressources et organisation territoriale – Débat d’orientations budgétaires 2021 – Tous budgets
Intervention de Gérard Collomb