Intervention de Gérard Collomb

Monsieur le Président, mes chers collègues,

Le rapport de la Chambre régionale des comptes consacré à la mise en place de la Métropole de Lyon est pour notre assemblée, l’occasion d’examiner les conditions dans lesquelles elle s’est mise en place et de tirer, cinq ans après, un premier bilan.

Permettez-moi, puisque j’étais un des acteurs de cette création, de rappeler quelques faits et d’évoquer quelques problématiques qui peuvent encore aujourd’hui faire l’objet de débats. D’indiquer enfin ce que peut être l’avenir de cette Métropole. 

D’abord, je voudrais souligner que cette métropole n’est pas née de la simple idée que nous aurions eu un jour avec Michel Mercier. 

Elle s’inscrit dans une réflexion qui, dans le courant des années 2000, vise à faire participer la France au phénomène de Métropolisation en cours dans le monde. Des études réalisées à cette époque soulignaient en effet la force de ce mouvement, constatant que 50 % du PIB mondial était produit seulement dans 300 métropoles qui concentraient à la fois la ressource intellectuelle et donc la capacité d’innovation, les flux commerciaux et les flux immatériels dans une économie de plus en plus numérisée. Depuis, cette tendance n’a fait que s’accroître puisque la même étude réalisée sur les 300 métropoles montrait que de 2014 à 2016 ces mêmes métropoles avaient concentré 67% du PIB mondial. 

Le rapport de la commission Balladur rendu en 2008 et auquel avaient participé des personnalités comme Pierre Mauroy concluait qu’il fallait créer en France 11 métropoles européennes réunissant les compétences du département et des intercommunalités et élues au suffrage universel. 

La même année, le rapport Warsmann, publié au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, reprenait la même volonté de réunir, dans les grandes agglomérations, communautés urbaines et départements pour permettre de supprimer une couche de ce qu’il était convenu d’appeler le millefeuille administratif français. 

Christian de Saint-Étienne, alors membres du conseil d’analyse économique, allait dans le même sens et, reprenant les thèses de Richard Florida, montrait que dans l’économie de la connaissance qui était en train de se développer, les innovations se produisaient essentiellement dans les grandes métropoles accueillant chercheurs, investisseurs, et entrepreneurs. 

« Ces territoires, soulignait-il, facilitent la dissémination des innovations au sein de l’écosystème de production qu’ils créent par leur politique fiscale, sociale et environnementale ». 

Si on cherche une clé de lecture à ce que nous avons voulu faire pour notre agglomération, on peut la trouver dans cette analyse-là. 

Dans ses analyses, Christian de Saint-Étienne indiquait la nécessité de création de telles métropoles, mais il posait aussi le problème de la fracture territoriale qu’elles risquaient d’induire, et donc celui des territoires qui pouvaient se paupériser. Problématique de ces dernières années, évidemment illustrée par la crise des gilets jaunes. Pour lui — et c’est la réponse que nous avons essayé d’apporter dans cette Métropole — la solution ne pouvait être que dans une coopération entre ces territoires et « les métropoles modernes ». 

Soulignant les vagues d’innovation portées par le développement de l’économie de la connaissance qui prenaient place au sein des grandes métropoles, il indiquait que si cette « France périphérique, pour reprendre les termes de Guilluy, voulaient sortir de ses difficultés elle devrait se rattacher à ces grandes villes qui peuvent favoriser une innovation de conception dans un large spectre de domaines : nouvelles technologies numériques et biologiques, finance, défense, énergie ou Cleantech, celles-ci pourtant travaillant aussi avec leur territoire à une politique de réindustrialisation en s’appuyant sur la robotique, le numérique et permettant ainsi le rapatriement de production délocalisée et parmi elles la pharmacie ». Car, concluait-il dans une vision qui prend tout son sens aujourd’hui est-il raisonnable que l’Europe dépende à 60 % pour la production de médicaments de base importé de Chine ou de l’Inde ? ». En créant la Métropole, nous voulions donc une Métropole innovante sur le plan économique, mais nous souhaitions aussi agir sur le plan social. Dans l’ancienne Communauté urbaine, en effet on nous reprochait parfois de ne pas nous occuper assez des personnes. Ce qui était logique puisque les compétences sociales appartenaient au département. En fusionnant le département et la Communauté urbaine sur le territoire de l’agglomération nous voulions donc, pour reprendre une formule qui depuis a fait flores, « conjuguer l’urbain et l’humain ». 

Voilà les idées qui m’ont guidé dans la conception de la Métropole de Lyon. Encore convenait-il de passer de l’idée à la réalisation. Pour cela, il fallait d’abord que les deux entités qui naitraient de la réforme soient viables. Cela allait de soi pour la métropole. Mais qu’en serait-il du département sans la métropole ? 

C’est pour répondre à cette question que nous avons créé la dotation de compensation financière. En effet, si l’on s’était contenté de séparer les deux entités sans prévoir de compensation, la Métropole de Lyon se serait retrouvée avec un taux d’épargne nette de 13,23 % et le nouveau département avec une épargne nette négative à -12,93 %. 

Cela évidemment était impossible d’où le mécanisme choisi qui permettait d’égaliser les taux d’épargne de chaque collectivité à 7,17 %. En fait, par cette dotation nous avons simplement rendu visible ce qui était invisible jusqu’alors, le transfert de recettes produites dans l’agglomération et consacré au reste du territoire départemental pour lui permettre de fonctionner et d’investir. 

Cela a été tout le travail de la CLECT, placée sous le regard exigeant, impartial et juridiquement très compétent de l’ancienne présidente de la Chambre régionale des comptes.

L’accord étant conclu entre les deux collectivités, il fallait faire en sorte que puisse s’opérer dans de bonnes conditions la naissance de la future Métropole de Lyon. 

Et c’était complexe ! D’abord, il fallait, un peu comme au moment du beug de l’an 2000, que tout puisse basculer sans problème le 1er janvier 2015 à 00h. Et je dois dire que nous avons eu quelque soulagement quant à cette heure-là, nous avons constaté que d’un point de vue informatique tout s’était bien passé et que les fonctions de la métropole seraient bien assurées (paye du personnel, achat…). 

Ensuite, la Métropole devait pouvoir accueillir 3600 agents venant du département dont les statuts, le système de rémunération, le temps de travail, le régime indemnitaire étaient différents. 

Cette transition demanda bien des heures de concertation avec des organisations syndicales qui jusqu’aux nouvelles élections restaient différentes entre agents du département et agents de la métropole. Mais aujourd’hui, comme le souligne la Chambre régionale des comptes, nous pouvons constater les progrès accomplis en matière de convergence.

Un troisième point d’interrogation résidait dans la capacité de la métropole à préserver un autofinancement fort avec la prise en charge des dépenses sociales du département. Beaucoup pensaient-ils allait s’effondrer, dans la mesure où dans le même temps nous devions prendre en charge la partie des emprunts toxiques liés aux investissements sur le territoire métropolitain (Musée des Confluences par exemple inauguré en décembre 2014 et qui revenait à la métropole au 1er janvier 2015). 

Je n’insiste pas sur ce point, car j’y reviendrai dans le DOB. Mais non seulement l’autofinancement ne s’est pas effondré, mais il n’a cessé de progresser, sauf bien sûr en 2020 où nous connaissons la crise de la Covid, mais où le statut métropolitain nous a permis de conjuguer prise en charge sanitaire, aides sociales et économiques. Ce qui était évidemment la bonne réponse ! 

Concernant la dynamique de la Métropole de Lyon que personne je crois, ne conteste, la Chambre régionale des comptes dit qu’il est difficile d’établir un lien de causalité avec la création de la métropole. Sauf que ce n’est pas tout à fait un hasard si à partir de 2015 le nombre d’entreprises créées, accueillies sur le territoire, la croissance consécutive du nombre de mètres carrés construits et placés en matière industrielle, logistique, ou tertiaire n’ont cessé d’augmenter. Avec un effet d’entrainement direct sur les territoires proches (département du Rhône, plaine de l’Ain, nord Isère,…), mais aussi plus lointains, de Mâcon à Valence. 

Cet effet d’entrainement s’est réalisé aussi de manière indirecte par le tourisme sur les départements alpins, l’Ardèche ou la Drôme, et par la consommation des Grands Lyonnais sur toute la grande Région Auvergne-Rhône-Alpes. 

Alors évidemment — et c’est une des questions qui a été au cœur du débat des municipales — il y a, dans cette réforme, la problématique du passage au suffrage universel et donc de l’absence d’un certain nombre de maires au Conseil métropolitain. Mais comment pourrait-on soutenir que l’on souhaite prendre de plus en plus de compétences et en même temps les conseillers métropolitains soient élus au suffrage universel ? 

Pour montrer l’inanité du système ancien et pour ne pas rester Lyono-lyonnais, permettez-moi de prendre l’exemple de Lille. Le conseil métropolitain de Lille comprend 188 élus pour 95 communes, soit un élu pour 6277 habitants, mais la commune de Warneton qui ne compte que 239 habitants a droit à un élu.

Les 76 communes de moins de 14 000 habitants représentent 40 % des élus de l’Assemblée métropolitaine, soit un peu plus que les quatre grandes villes Lille, Roubaix, Tourcoing et Villeneuve-d’Ascq, qui totalisent pourtant 500 000 habitants. On ne peut donc, je le répète, revendiquer des compétences de plus en plus larges et en même temps refuser le suffrage universel. 

Pourtant, si le suffrage universel doit être établi, nous avons toujours été conscients qu’il fallait préserver une représentation des territoires et des communes.

Cela s’est réalisé de deux manières. D’abord par les Conférences Métropolitaines des Maires (CTM) qui sont au Conseil métropolitain ce que le Sénat est à l’Assemblée nationale, ensuite par les Conférences Territoriales des Maires (CMM) ! Ces instances ne sont pas pour Lyon une novation puisque c’est dès 2002 que j’avais souhaité que se constituent des conférences locales des maires parce que si l’on peut et doit traiter beaucoup de sujets au niveau de la commune, pour ce qui concerne l’aménagement du territoire, c’est le bassin de vie qui est pertinent. 

C’est d’ailleurs pourquoi les circonscriptions, vous avez pu le constater, correspondent aux bassins de vie, y compris d’ailleurs à Lyon, où l’on a été attentif à la géographie du territoire.

Voilà pour aujourd’hui ! Il nous reste à Inventer la Métropole de demain. Et c’est à vous de le faire.  

Un urbaniste lyonnais vient de se pencher sur cette question. Il a une thèse un peu audacieuse. Évidemment je ne reprendrai pas, mais il dit « demain le Grand Lyon s’appellera la Ville de Lyon et il aura 14 circonscriptions, comme la ville de Lyon a aujourd’hui 9 arrondissements. » Cous voyez que c’est terriblement iconoclaste et donc je n’irai pas sur ce terrain-là.


Conseil de la Métropole du 14 décembre 2020

Rapport d’observations définitives de la Chambre Régionale des Comptes d’Auvergne-Rhône-Alpes concernant la mise en place des métropoles – exercices 2014 et suivants

Intervention de Gérard Collomb

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